mouette

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samedi 2 mars 2024

La deuxième mort de Missak Manouchian

 Missak Manouchian est mort une deuxième fois. 

On devrait se réjouir de la panthéonisation d'un vrai héros (si ce mot a un sens) de la résistance. Mais on ne peut pas. Pas vraiment. Pas du tout. 

Missak Manouchian est mort sous les balles des nazis, trahi. Arménien, poète, ayant deux fois demandé la nationalité française, et deux fois elle lui fut refusée. Communiste, membre des FTP - MOI (Franc-tireur partisan - Main d'œuvre étrangère), il se battait pour des idées. Le représentant de ce mouvement, 93 ans, s'est vu refuser l'accès au panthéon le 21 février dernier,  parce qu'il en portait la bannière... Communiste. Sans doute un gros mot pour les gouvernants d'aujourd'hui. 

Immigré. Les mêmes qui panthéonisent (à tour de bras, récupération, récupération...) font voter la loi "immigration-Darmanin". Ils n'ont donc aucune honte, aucune gêne, à prendre d'une main ce qu'ils donnent de l'autre. Sans vergogne. Ces gens, avec leur idéologie,  auraient sans nul doute expulsé Manouchian en 1939. Ils l'auraient peut-être même dénoncé, ou exécuté, qui sait? Après tout, le RN, pour qui certains macronnards affirment préférer voter contre les communistes, est né des anciens Waffen-SS français de la LVF. Honte à eux! 

A Clamart il existe une forte communauté arménienne, active et bien intégrée. Arrivés après le génocide, les Arméniens ont eu un accueil plutôt positif qui fait que lorsque Vichy dénaturalisait les Polonais juifs à tour de bras, les Arméniens étaient plutôt épargnés, et tant mieux. Valait mieux être chrétien en ces temps-là. Aujourd'hui aussi. Le discours de M. Berger, maire de Clamart, lors d'un hommage à Manouchian ce 2 mars restera comme un sommet de réécriture de l'histoire. Ainsi Manouchian s'est battu contre un génocide car victime d'un génocide...Ainsi Manouchian fut-il le trait d'union entre la France et l'Arménie...Balivernes. De ses idéaux, il ne fut pas question. Notons dans la bouche du maire cette expression : "c'était un homme d'action..." Oui. Il a pratiqué l'action violente, ce que l'on appelle "terrorisme" quand on veut disqualifier les gens... Tiens..? Manouchian n'est plus un terroriste. Mais Julien Coupat, oui! Ah ce mot... 

Décidément, la mémoire, ou plutôt l'obsession mémorielle,  joue des mauvais tours à l'histoire parfois... 

La vérité c'est que Manouchian était communiste, résistant, se battant non pour l'amitié franco arménienne mais bien pour des idées de justice sociale et de liberté politique, et que la France (parti communiste inclus, question de stratégie politique tripartiste) a eu bien du mal à l'accepter. La vérité c'est que le poème d'Aragon devenu la chanson de Ferré a été interdite d'antenne jusqu'en 1982. La vérité c'est que de Gaulle voulait une résistance bien française et que française. Ironie de l'histoire, cette chanson est jouée au Panthéon lors d'un hommage national. Diable de Macron, bien habile.

Alors? 

Alors aujourd'hui,  ceux qui président à cet hommage, en font des tonnes et l'instrumentalisent,  devraient pourtant faire profil bas. Car, s'il était vivant, nul doute que Manouchian serait en première ligne dans la lutte contre un pouvoir policier, raciste et antisocial. 

La résistance est largement un mythe, construit dès le discours du 25 août à l'hôtel de ville de Paris,  même si les résistants ont existé bien sûr. Ce qu'il y a de plus solide dans "la" résistance, factuellement, c'est le CNR et son programme, que déconstruisent pourtant jour après jour les gouvernants qui osent s'en réclamer. Il faudrait autour de cette histoire une thèse et non un simple jet de colère. 

Finalement, réécouter sans lassitude le magnifique hommage d'Aragon et Ferré. Et Feu Chatterton ne démérita point dans l'exercice, le 21 février dernier. Qui devrait être un jour béni. Gloire à Manouchian, immigré, résistant, poète, homme sans haine.

Pour faire le point sur ce dossier le minuscule livre d'Annette Wieviorka, paru il y a quelques jours et que je viens de découvrir : Anatomie de l'Affiche rouge, Le Seuil Libelle. 

dimanche 14 janvier 2024

Vieux monde

Le président Macron promettait il y a des lustres d'en finir avec le "vieux monde", les vieilles recettes et la politique à papa. Résultat,  dès son élection, il se comportait en monarque d'un autre temps, se proclamant "Jupiter", renouant ainsi avec les pires heures de la monarchie républicaine. 

Le remaniement qui vient d'avoir lieu illustre à quel point le Président est prisonnier d'une vision dépassée de la politique et des institutions poussiéreuses de la Vème République. 

Croire que changer de Premier Ministre peut intéresser et motiver l'électorat me semble être une vision totalement erronée de la crise profonde de la politique dans ce pays et ailleurs. Les citoyens savent que rien ne changera réellement et que par delà les noms et les visages de la galerie politique, les politiques, elles, seront maintenues. Non pas qu'il soit impossible d'agir autrement, mais les volontés en œuvre sont celles de rapport de domination et de classe qui dépassent largement le personnel gouvernemental. 

Pour réconcilier les citoyens et la politique il faudrait que ces citoyens soient parfois écoutés et entendus et non méprisés comme ils le sont depuis des décennies maintenant. 

Il faudrait de vraies transformations institutionnelles qui garantissent l'existence de contre pouvoirs, de voies d'accès des citoyens aux processus de décisions, des réformes profondes de la représentation publique (sur le non cumul et les modalités de renouvellement des mandats  par exemple), une transformation des systèmes électoraux.. Bref, une nouvelle République! 

Alors on subit un énième changement de gouvernement dans l'indifférence la plus totale et là où les gens bien intentionnés scrutent le changement, que voient ils? Le retour de personnalités historiques du sarkozysme, des pantins du macronisme, des sinistres  mis en examen, tous à droite et à droite toute! Une permanence totale en réalité, maquillée par un record de précocité -soit dit en passant  une vraie garantie d'inexpérience, de méconnaissance et de suffisance-, ce dont tout le monde se moque. 

Une ministre de l'Education nationale qui dès son installation insulte l'école publique, et qui de toutes façons, comme toute cette classe politique d'ailleurs, met ses mômes dans le privé parce que "quand même, le public, ma bonne dame, c'est fainéants et compagnie". 

Depuis 2017 le démantèlement des services publics, déjà bien entamé par une prétendue gauche de gouvernement, ne fait que s'accélérer.  Qu'ils soient classés à droite ou au centre les ministres de Macron ont tous servi une authentique politique néolibérale de droite dure et autoritaire, aussi bien dans la sphère économique que dans la sphère des libertés civiques. Une politique libérale servie par une police et une justice aux ordres et n'ayant pas peur de frapper fort le plus faible. Et la France de sombrer dans une "démocratie autoritaire" aux yeux de l'Europe et du monde entier. 

Des éditorialistes parlaient mardi soir dernier d'un tournant dans le quinquennat car il y avait la possibilité d'une "ouverture à droite" (je cite) Stupéfiant. La droite est au pouvoir depuis 2017 sans nul doute quelles que soient les origines politiques supposées ou réelles de nos gouvernants. Tous les ministères régaliens sont tenus par des anciens serviteurs du sarkozysme ou du chiraquisme, et si les figures du "macronisme de gauche" furent des ministres de Valls et Hollande n'oublions donc pas que ce socialisme là, fut le plus traître qu'il ait été possible d'être... L'obsession de ces gens est d'identifier une gauche extrême parmi les personnes qui furent pourtant leurs camarades de parti. Mais cela faisait tellement longtemps que le PS était rongé de l'intérieur... En a-t-il d'ailleurs un jour été autrement? Question à poser. 

Aujourd'hui le macronisme continue à hausser le menton, à bomber le torse et à avoir un discours d'autorité : sur l'école, l'immigration, la laïcité. En réalité ce discours s'accompagne de toutes les conditions pour aggraver la situation des services publics et de la fragmentation sociale du pays. 

Hôpitaux en ruines, école ravagée, frontières fermées alors que de nombreux métiers en tension ont besoin de main d'oeuvre... Tout est fait pour que la droite la plus extrémiste, née du Pétainisme et issue des années Trente, raciste, homophobe, liberticide, réactionnaire, arrive au pouvoir. Tout est fait pour complaire aux lobbys les plus nocifs (agriculture, chasse, alcool). Tout est fait pour désengager la France des objectifs de transition écologique, pour continuer à agrandir des métropoles tentaculaires au détriment des autres territoires, développer des transports routiers, comme si on manquait réellement d'autoroutes dans ce pays... On va dans le mur et on accélère. 

Trois ans encore ça va être long... 





samedi 4 novembre 2023

Dire Straits live! Si, si...

 Dire Straits Live. 

Les fans pensent immédiatement à la grosse machine Alchemy, bien huilée, déroulant des morceaux de 12 mn, avec des solis de guitare de malade et une batterie en mode mitraillette. Les détracteurs pensent immédiatement ennui profond, absence d'impros, morceaux étirés, sax pénible et j'en passe. Et puis les puristes du groupe pensent "1979"... C'est à dire une époque où ce groupe était encore dans la joie, en formation originelle et venait sur scène défendre sa musique. 

Le 21 décembre 1979 c'était au Rainbow Theater, Londres. La veille The Police foulait cette scène. La semaine précédente c'était Queen...

Le groupe d'alors : guitares, basse, batterie. Nothin' else. 

Une virtuosité à la guitare, solo, certes mais beaucoup plus que cela. Une grosse basse qui s'amplifie au fur et à mesure du concert, un chanteur qui s'éclate -ça paraît dingue-, une énergie de fou et un batteur ultra inventif et efficace, l'oublié Pick Withers. Les morceaux sont plutôt concis, ciselés, et joués sur un mode rapide à la recherche du groove (In the Gallery, Southbound again, Setting me up). Il s'agit aussi de faire bouger ce satané public : le rappel avec Phil Lynott, le pote leader du groupe irlandais majeur d'alors (Thin Lizzy pas U2!), aligne 4 standards de rock'n'roll dont Nadine et Keep on Knocking, fabuleux. C'est l'apogée à mon humble avis de ce groupe. 

Pas de chichis, pas d'intros particulière, juste le fun et c'est excellent. C'est dans le coffret Dire Straits Live 1978/1992 et ces deux CDs du Rainbow valent bien l'achat! 

Pour les amateurs du Dire Straits routinier de la fin de l'aventure, le live On the Night original sorti à l'époque est augmenté de 7 morceaux. Mais on s'en fiche un peu.

 




jeudi 2 novembre 2023

L'échelle du temps

Cet article paraîtra affreux. Tant pis.

A l'échelle du temps, pour l'instant, le conflit israélo palestinien n'est encore que... rien ou pas grand chose. Une micro chiure de mouche. 

C'est illisible à ceux qui vivent ce temps court, ces dernières 70 années de massacres, de trêves, d'occupation, de traités foirés et de terrorisme. Je le sais, mais ce n'est pas de ma faute. 

Inversement, les 12 années d'hitlérisme ne furent pas "rien" à l'échelle du temps avec leurs 5.5 millions (au moins) de morts Juifs,  massacrés parce que Juifs. Le nombre, l'idéologie, la méthode. Ceci pour invalider toute forme de comparaison entre l'imbécile de Netanyahu et Hitler, et pour ramener à la raison ceux qui s'égarent en d'absurdes comparaisons.

Le temps des monothéismes à l'échelle de l'histoire humaine, est ridiculement court et férocement destructeur.  Le temps des nationalismes est encore plus bref et peut-être plus destructeur encore. Songez qu'il y a 40 000 ans des hommes dessinaient des splendeurs au fond des grottes de Lascaux et Chauvet. Ils croyaient en des choses et dessinaient, peut-être en résonnance avec ces croyances. Ils ne se massacraient pas entre eux. En même temps, ils étaient moins. 

L'agriculture, l'écriture et les monothéismes créant la propriété, l'éternité et la singularité absolue, massacrent la commune humanité depuis 12 000 ans (pour l'agriculture), 6000 ans (l'écriture), 3000 ans (le monothéisme). Quasiment rien à l'échelle du temps humain, rien du tout à l'échelle du temps terrestre. Et ces mecs (c'est quand même souvent un truc de mecs) se la jouent éternels... A propos,  beaucoup de peintures rupestres étaient faites par des femmes semble-t-il.... Mais je veux pas offusquer les gens qui croient au genre, ni ceux qui n'y croient pas. C'est juste factuel. 

Le propre des fanatiques étant de ne surtout pas réfléchir, ils ne prendront jamais le temps de mettre à distance ce qu'ils vivent ou veulent vivre au regard de l'Histoire. Et c'est dommage. C'est cela la nocivité des croyances, ou plutôt des religions. Mais croyez m'en, cette terre ne vous appartient pas. Ni aux uns, ni aux autres.

Et vous disparaîtrez nations, croyants, et les uns et les autres. Et d'autres vous remplaceront. 

Israël, Palestine, France, Russie... un jour, ces mots seront aussi creux et lointains pour nos descendants que ne le sont l'empire Assyrien et Babylone à nos oreilles incultes. Késako?

Et l'histoire se souviendra, peut-être, d'imbéciles malheureux. 

vendredi 27 octobre 2023

Rolling Stones Blues

 

Qu’attendre d’un album des Stones en 2023 ? Rigoureusement rien. Ça fait un demi siècle que ce groupe ne fait que cultiver sa propre légende, écrite dans le laps de temps 1965 avec une flopée de disques si bons que c’en est irréel. Lorsque je constate que j’ai vu des Stones sur le retour au Parc des Princes lors de ce qui fut la tournée Flashpoint puis à l’Olympia en 1995, cela est vertigineux. Un demi siècle de routine ! La longévité stupéfiante de l’entreprise est en soi sidérante.

Qui dit mieux, hormis Bob Dylan, lui-même légende vivante?

Alors pourquoi écrire ? Parce que mon ami Jérôme, collectionneur de vinyles devant l’éternel, me recommande de l’écouter. Parce que Le Figaro se fend d’un article assassin intitulé « rock en toc ». Mais qui pourrait bien consulter Le Figaro avant d’acheter un disque de rock ? « Nobody » dirait ma belle-mère ! En tous cas je fais plus confiance à Jérôme qu’au Figaro, s’agissant des Stones. Que ce journal n’aime pas d’ailleurs me ravit… On a les ennemis qu’on peut.

En quelques mots, le disque serait même nul et « irrespectueux ». Mais de qui se moque-t-on ? Jamais les Stones n’ont été aussi respectueux : eux qui omettaient de créditer Marianne Faithfull au temps de leur apogée, nous créditent même le type qui a eu l’idée du titre du disque !!! Incroyable honnêteté. Pour le reste, personne n’a jamais obligé quiconque d’acheter un disque. Donc bon. Et puis les Stones ne prétendent à rien d’autre que d’être de faire de l’entertainment, et-ce depuis le début,

Alors, que reste-t-il de ce disque ? Il débute comme on attend qu’un disque des Stones débute depuis les années 80. À savoir un riff impeccable et un truc qu’on retient instantanément.

Puis on passe directement au boogie bouillie punky bâclé dans la joie avec Polo Macca à la basse fuzz ! Entretemps une ballade stonienne classique nous a chatouillé l’oreille. Ce disque va nous permettre d’écouter le meilleur titre d’Oasis depuis What’s the story morning glory (je vous laisse trouver la chanson tout seul : na et ahahaha! : un indice : ça commence par « The streets... ») !

Le reste on s’en fout complètement, mais l’album se clôt sur ce que les Stones font de mieux et le plus sérieusement : une reprise de Muddy Waters : Rolling stone blues. La guitare de Keith, la voix et l’harmonica de Mick. Un standard. Un adieu ? En tous cas ce serait la fin parfaite d’une carrière débutée vraiment à Chicago (si, si…)

Sur ce, je vous conseille de réécouter en boucle Let it bleed.


dimanche 15 octobre 2023

Prof

 J'suis prof'. J'enseigne l'histoire géo et l'EMC. En gros pour résumer  :pourquoi c'bordel (HG) et comment vivre avec (EMC)?

Je suis pas là pour donner des leçons de comportement et des recettes de bonheur. J'essaie modestement d'apporter un peu de lumière au sombre tableau de nos siècles de massacres, de haines, de rancœurs nationales, religieuses, sociales...  La lumière fait mal aux yeux les plus engourdis, aux regards les plus assombris... Trop pratique de fermer les yeux quand le tableau n'est pas joli.

Je déteste les explications faciles et les causalités d'évidence idéologiques. Ca aide d'avoir des schémas tout faits, mais l'histoire n'a de cesse de montrer que les choses sont complexes, entrelacées, mêlées dans d'inextricables labyrinthes. C'est ce qui est passionnant car nous sommes parties intégrantes du labyrinthe et non des pions au milieu d'un tout extérieur. Nous sommes le monde et non dans le monde. Etre modeste, car si je suis partie du monde, l'autre l'est de même. Tous les autres... 

Alors tolérance obligatoire. 

Les nations naissent et meurent, n'en déplaise aux nationalistes de tout poil. Les religions croissent et décroissent n'en déplaise aux croyants. Les systèmes se transforment, les langues aussi, n'en déplaise aux nostalgiques. Le pouvoir et les rapports de force se modifient au gré de variants innombrables...Le monde est transformiste et l'histoire raconte cela. 

Quoi de permanent? Pas grand chose. Les continents se meuvent et certains événements d'une triste actualité nous le rappellent : 2000 morts en Afghanistan la semaine dernière...

Le soleil s'éteint. Et personne ne le rallumera. La seule certitude c'est que dans ce grand bazar qu'est l'univers, les sociétés ont des possibilités de maîtrise, relatives, mais réelles : les rapports entre les hommes, les rapport entre les espèces (nous et les animaux, nous et les végétaux) se pensent au regard de la raison et au regard de la science. C'est le but de la politique et de la technologie que de gérer tout cela. 

C'est mon métier que de dire tout cela, de hiérarchiser certains éléments, d'en oublier d'autres aussi,  car nous sommes vulgarisateurs pour un public lambda, tous, et non spécialistes pour une assemblée d'experts... 

Ces choix, ces explications heurtent celui ou celle qui n'est pas prêt à l'entendre. Pour de multiples raisons : souffrance personnelle, croyance, conviction, ignorance, etc, etc.

Chercher à éclairer devrait être exaltant : c'est souvent pénible. L'impression d'une lutte sans fin, d'être à contre courant tout le temps, de ne pas vivre au même rythme. Et à cela, faire triompher le rythme de la sagesse,  les politiques de tous bords ne nous aident pas, à vouloir vivre au rythme de la lumière et du son. Le rythme du savoir n'est pas non plus celui des affaires et celui de la célébrité. Les gamins rêvent de Qatar et de Dubaï, les adultes rêvent de fixer le monde. Jouir et fermer les yeux. Mon boulot c'est l'inverse. 

Dans sa chanson l'odeur de l'essence, Orelsan dit très bien tout cela : "tout est binaire", "nostalgie d'une époque où d'autres étaient déjà nostalgiques d'une époque où d'autres étaient déjà nostalgiques d'une époque où d'autres étaient déjà nostalgiques  etc"

Moi je le dis avec des exercices, des documents et la raison. Trop difficile. Pour cela maintenant on assassine. Les profs deviennent les cibles de la frustration, les boucs émissaires faciles. L'Ecole cristallise le mécontentement des parents comme des enfants. 

"Evaluez" m'ordonne-t-on. Mais tous les jours, les premiers concernés refusent les résultats de l'évaluation. 

"Soyez laïc!" me dit-on. Mais, dans ce siècle, plus personne n'accepte les conséquences et les voies de la laïcité. 

"Enseignez l'honnêteté intellectuelle et le savoir" me demande-t-on. Mais tout le monde ment partout tout autour, et la crétinerie gagne le combat.

J'suis prof. Et fatigué de l'être. J'suis prof et dégoûté. Non je ne travaillerai pas plus à continuer à me former sur mon temps de congé. Non je ne travaillerai pas plus même pour une prime de 70 euros brut par heure. La société a l'Ecole qu'elle mérite. 

J'suis prof. Mon métier est d'enseigner l'histoire géo et l'EMC. Je continuerai à le faire mais avec le goût amer dans la bouche. Pas peur. Dégouté. Mourir pour ça... 




samedi 14 octobre 2023

assassinés

Hier, mon collègue Dominique Bernard a été assassiné pour s'être interposé face à un tueur qui cherchait, semble-t-il, un prof d'Histoire-géo (J'emploie ici le conditionnel). Il y a deux ans j'écrivais ceci, à propos de l'assassinat de Samuel Paty. 

"Un collègue est mort assassiné d'avoir voulu enseigner. C'était son métier et son devoir : enseigner l'esprit critique à travers un document, la caricature. 

La nature même du document invite à la réflexion : « charge d'une façon exagérée » (du verbe italien caricare, venu du latin carricare : charger, lester un char de poids), par extension « en rajouter » 

Pour être clair charger la mûle! 

On sait, ou l'on doit savoir, quand on voit une caricature, qu'elle est déformation, exagération et non manifestation de vérité. Même si certaines vérités peuvent se glisser sous l'angle de nos réactions. Et notre société l'autorise. Le blasphème n'est blasphème que pour le croyant. L'incroyant, l'autre croyant, ne peut voir de blasphème là où n'est pas son dieu. Il peut néanmoins le concevoir et il peut aussi assumer de blasphémer. 

L'enseignant se doit d'enseigner.  Personnellement je montre ces documents  en lien avec la liberté d'expression. Et aussi la liberté de croire de chacun et la respectabilité des croyances. C'est ma manière d'équilibrer les choses : le droit au foulard des parents accompagnateurs (par exemple) et le droit à caricaturer le prophète. 

C'est l'enjeu de la laïcité : un triangle simple et fragile, équilatéral: 

Premier côté  : la liberté de conscience (croyances et incroyance).

Deuxième côté : l'égalité des postures ainsi nées de cette liberté.

Troisième côté :  la neutralité nécessaire de l'Etat qui en découle. 

Nous continuerons à montrer les caricatures. Nous continuerons à enseigner l'importance du fait religieux dans l'histoire des civilisations. Nous continuerons à rester neutres. Libres; égaux; neutres." 

Parce que fonctionnaires d'un état laïc, les enseignants sont devenus des cibles. Doivent-ils se résoudre à ne plus enseigner la laïcité? Doit-on modifier la doctrine de l'Etat laïc? Bien sûr que non. Mais ils ne peuvent être les victimes sacrifiées d'un gouvernement qui agite les manches et hausse la voix mais ne fait rien. Où est l'argent de la lutte contre la radicalisation? Concrètement, que fait-on à part des rondes avec des voitures ciglées "Vigipirate" sans aucun effet?

mercredi 30 août 2023

Abaya : problème ou solution?

Il y a en France 58910 écoles et établissements dans le 2nd degré, dont : 48 220 écoles, 6 980 collèges, 3 710 lycées (source ministérielle)...

Ces établissements accueillent près de 12 millions d'élèves. Si on considère une semaine à 5 jours d'école il y a donc environ 60 (12x5) millions de journées scolaires par semaine pendant 37 semaines ... Soit 2 220 (60x37) millions de journées scolaires...

Il y a environ (chiffre délicat car pas de bilan global mais des données éparses) en moyenne 300 signalements d'atteintes à la laïcité par mois sur le territoire (904 cas entre avril et juillet 2022, 627 entre décembre 2021 et mars 2022)... Généralement ces chiffres sont plus importants au premier trimestre de l'année scolaire où se commémorent (ou non) les événements tels que le 11 septembre , l'assassinat de Samuel Paty, les attentats du bataclan... 

Une note récente donne les chiffres suivants : 4710 remontées d'incidents en  ( = 392.5/ mois) en 2022/23 pour 150 établissements concernés.

Ces chiffres permettent de dire : 

- Sur la totalité du territoire, pris globalement, comme aime tant à le faire notre chère administration pour tout autre sujet, les atteintes à la laïcité ne sont pas un sujet. Dans la plupart des établissements, la plupart des jours de classe, pour la plupart des enfants et adolescents, on n'a aucun problème... 

- Par contre, dans certains quartiers, ou établissements, il y a effectivement un problème réel dont on peut douter que ce soit l'appareil législatif qui puisse le résoudre...  

Les signalements pour atteinte à la laïcité concernent dans une proportion de 40 % des signes religieux ostensiblement portés. Les autres motifs sont : prosélytisme (8%), refus d'activité pour motifs religieux (7%), revendications communautaires (7%), provocations verbales (5%), refus des valeurs républicaines (2%), autres formes ((?, 10%) (source : ministère pour le mois de septembre 2022).

Concrètement, on est confronté à plusieurs situations : 

- Exhibition de croix chrétiennes

- Port du voile

- Port de la Kippa

- Respect du Shabbat avec absentéisme le samedi matin

- Revendications de fêtes religieuses non inscrites dans le calendrier républicain.

Depuis des années le débat s'est cristallisé sur la question du voile, en lien avec les progrès d'un Islam radical. 

La laïcité est un principe essentiel de la République. Elle peut se résumer au respect de la liberté religieuse et donc à l'égalité absolue des choix de conscience (croire / ne pas croire) et donc par conséquent à la neutralité de l'Etat et des services publics, garante de cette liberté et de cette égalité. 

L'interdiction d'un signe religieux ne se comprend pas comme une stigmatisation mais comme un garde-fou, une volonté de protection de la liberté pour un public influençable.

La question sociale, la question de l'intégration à la République la question religieuse se confondent fort souvent dans les situations d'atteinte au principe de laïcité. 

Dans ce contexte l'abaya représentait, SELON MOI, (en majuscules car ce n'est pas factuel mais bel et bien une simple opinion personnelle) plus une solution qu'un problème.  

Ce vêtement qui n'est pas religieux, mais culturel, permettait sans nul doute une forme de revendication religieuse, je ne suis pas naïf. Mais il a l'avantage de permettre l'intégration à l'école de personnes en mal d'identité, en mal de reconnaissance. L'interdire équivaut dans certains établissements à rouvrir une "guerre" entre l'autorité républicaine et les familles concernées. Allons nous interdire la barbe ? Allons nous en mesurer la longueur, la coupe? En analyser le sens profond? Chacun comprend qu'en multipliant les interdictions, on ne fait que rendre la situation plus tendue et plus complexe à gérer au quotidien, car c'est ici que cela se joue aussi, et surtout! 

Tout ça pour un "problème" qui se mesure à l'aune des chiffres cités plus haut : 400 situations par mois, soit 15 par jours pour 12 millions d'élèves accueillis dans 60 000 établissements... 0.25% d'établissements concernés... Misère. 

On répondra que ce sont des situations de trop.. Oui. Il y a également 15 millions d'infractions routières liées à la vitesse par an, soit 41 000 par jour... (c'est trop également...)

C'est en réalité une pierre jetée dans le jardin du RN, dans un contexte post émeutes. C'est extrêmement dangereux d'autant plus que quasiment inapplicable. Bien malin qui distinguera l'effet de mode avec l'abaya revendicative. Bref, une manière de gonfler les pectoraux bien malvenue... Mais le gouvernement a besoin de bomber le torse. 

Au lieu de donner les moyens de gérer les situations problématiques, pas si nombreuses que cela, il se donne une posture d'autorité. Pendant ce temps-là le service public agonise : les enseignants ne se recrutent plus, les hôpitaux débordent, la mortalité infantile augmente de manière continue depuis 10 ans et on détourne l'attention... 

On me reprochera angélisme (je l'entends déjà), ou excès de pragmatisme. Mais oui, pragmatique faut l'être sinon on refuse de gérer le réel et le réel c'est que je vais avoir 32 gamins par classe la semaine prochaine et que je vais pas en virer parce que certain.e.s ont un vêtement qui trahit une appartenance culturelle. Si cette interdiction se met en place on verra le nombre d'incidents augmenter. Ne serait-ce pas un des buts recherchés? 

Pour éclairer le débat je signale l'opinion de l'historien Iannis Roder, favorable à l'interdiction de l'abaya dont le port constitue selon lui un geste politique. Opinion argumentée et éclairante même si je ne partage pas forcément sa conclusion. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/03/iannis-roder-enseignant-le-port-de-l-abaya-constitue-bel-et-bien-un-geste-politique_6187630_3232.html

vendredi 18 août 2023

Journaliste du dimanche

 Le JDD a reparu. Ce n'était pas mon journal favori, hein, loin s'en faut. Donc je l'achetais pas. Mais la grève récente me l'avait rendu plus sympathique qu'il n'était. Envie de l'acheter du coup... Mais depuis qu'il a reparu, il faut le boycotter. Donc quand ma belle-mère l'a candidement rapporté l'autre jour en disant, je cite : "il y aura peut-être des infos dedans", je l'ai engueulée. Et j'ai feuilleté l'objet du délit : Un article titrait  : "Dans la solitude des hommes battus". Nausée. La Une réclamait la justice pour les policiers. Et en dernière page l'inénarrable Pascal Praud, tête de gondole de l'empire Bolloré, ex de Téléfoot où il était le plus nul, - Téléfoot c'est Pierre Cangioni, Didier Roustan et c'est tout!- nous fait une chronique. Je l'ai lue avec attention et j'y ai vu le plus faux-cul des articles, le travail bâclé et néanmoins roué d'un pseudo journaliste, l'œuvre d'un propagandiste qui se déguise. 

La forme, billet d'humeur, autorise l'opinion. Soit, cela ne me gêne pas. Mais assume là ton opinion mecton! Elle se pare, dans ces lignes dégueulasses, des atours du "bon sens", d'une prétendue détestation de l'idéologie alors qu'elle suinte l'idéologie sécuritaire-libérale-catholique à plein nez. 

Le billet d'humeur autorise Praud à écrire à la première personne : on dirait le Jean Daniel de la fin, qui donnait la leçon à tous et toutes dans son édito du Nouvel Obs'. Un Jean Daniel cheap, de droite, inculte.

Pascal Praud prétend rencontrer des "vraies gens", lui, lorsque les autres journalistes de la planète France  en nieraient l'existence. Il prétend dénoncer l'entre soi parisianiste du monde des médias dont il est pourtant le représentant le plus caractéristique avec ses émissions de café du commerce. Il nous présente ainsi la famille "Sophie, kiné, Philippe, directeur d'agence bancaire, et leurs deux filles étudiante en école de commerce et à Sc Po". Des Français moyens... Hum... Et ces gens-là , en vacances à La Baule, ne se  plaignent pas, mais tout de même, aimeraient un coup de pouce fiscal. Entre temps Pascal Praud n'a pas oublié de rencontrer un CRS, de rappeler qu'il a le numéro de téléphone des ministres et il n'oublie pas de donner une leçon de savoir être aux hommes politiques... Ce n'est plus un billet d'humeur, c'est un manifeste!

Il nous évoque l'usine à gaz Parcoursup qui envoie des étudiants à mille km de chez eux quand une place est pourtant disponible à 3 km de là ... Qu'importe la vérité, ce type d'assertions débiles et fausses se nichent dans le cerveau du lecteur qui va évidemment s'emporter et répéter ce genre d'âneries. C'est ce qu'on appelle le populisme. Parcoursup ne peut pas envoyer des gens à 1000 km de chez eux en France métropolitaine...  et cela n'existe donc que dans les Drom Com. Je  ne suis pas un défenseur de Parcoursup, mais tout de même, un journaliste a des obligations comme celle de vérifier les faits et les propos qu'il tient. Ce genre de simplification tient lieu de méthode journalistique semble-t-il dans le nouveau JDD... La première Une de l'après grève étant entachée d'une même erreur. Mais vérifier, peser ce qu'on écrit, l'honnêteté du propos, ce qu'on appelle la déontologie, ce n'est pas dans le logiciel Bolloré. 

Donc on peut écrire que Parcoursup envoie les étudiants à 1000 km de chez eux. Pourquoi mille? Parce que mille c'est simple, ça reste en tête, ça marque les esprits. Et c'est pas trop faux pour parler des points les plus éloignés de l'hexagone entre eux. Mais ça reste faux : la vérité c'est que les étudiants sont globalement  satisfaits de l'outil, même si c'est une dure épreuve pour tous et si cela trie les étudiants. La vérité c'est que ce n'est pas la distance qui est le problème n°1 mais les places disponibles dans la filière voulue. La démarche serait d'expliquer pourquoi on n'ouvre pas tout partout, pourquoi on ne satisfait pas tout le monde, pourquoi tant d'étudiants échouent en première année, se réorientent etc..  Mais ça, ce serait faire du journalisme et Pascal Praud n'en a ni le temps, ni l'envie. Ce n'est pas pour ça qu'il est (grassement) rémunéré par son boss. 

Qu'importe donc que l'affirmation de Praud soit fausse, ce qui compte c'est qu'elle existe. Sauf que la presse écrite ce n'est pas la télé où tout se dit, se contredit et s'oublie. Les écrits restent et Pascal va devoir apprendre à écrire ou à se taire. Car si "errare humanum est " on peut douter de l'innocence de celui qui se trompe en l'espèce. Se tromper sciemment, c'est mentir. Mentir tout le temps ça finit par se voir, même si on essaie de maquiller ça en un "bon sens" dont on finit par comprendre qu'il est orienté dans un certain sens : celui du poil du lecteur, celui de l'électeur RN.

On comprend donc qu'en effet il ne faut pas acheter le JDD comme on achète un journal ordinaire... On achète le JDD si on veut aider la soupe rance de l'ultra droite abonder dans le flot de l'info. 

Donc on n'achète pas le JDD.

vendredi 30 juin 2023

Irrationnel?

Quand on est sourd à toutes les raisons, il ne faut pas s'étonner que l'irrationnel surgisse. C'est rationnel... Donc effectivement toutes les violences qui se multiplient dans nos villes ne servent en rien la cause et la mémoire d'un jeune homme tué lors d'un contrôle de police. Mais elles s'expliquent aisément, si l'on considère que depuis des années la violence policière s'est installée avec l'aval ou la complicité d'un pouvoir en pleine dérive autoritaire. Quand on facilite l'usage des armes par la police, quand on est sourd à toutes revendications, quand on stigmatise en permanence et qu'on cultive la protection des copains de soirée tels Benalla ou autres milliardaires amis, quand on détruit avec soin tout ce qui fait lien social et en particulier les services publics... Ne pas s'étonner que ce lien n'existe plus. C'est un peu facile d'en appeler à la République sacrée quand en fait on détruit la Res publica. Je plains sincèrement les policiers de servir sous l'ère Macron. Gilets jaunes, répression des manifestations, violences urbaines... Il est temps qu'un ministre de l'intérieur digne de ce nom soit nommé par un président digne de ce nom. C'est pas demain la veille. Macron a dit que son souhait n'était pas de durer.. Chiche? Démissionne donc! Plus il est là, plus il prépare le sacre de Le Pen. 

jeudi 1 juin 2023

Best of...

 "Moi vivant il n'y aura pas de best of" disait Jean Louis Murat, paraît il. Prophétie hélas réalisée... Il y a un best of et il n'est plus de ce monde. Toutefois il est vivant, nuance tout de même. 

A quoi sert un best of? Rarement question fut si pertinente... Ceux qui comme Jean Louis Murat pensaient qu'un best of était vain voire nul et non avenu auront des motifs de croire qu'ils avaient raison. Ceux qui l'espéraient ce best of, auront eux aussi des raisons de croire qu'ils avaient, eux, de bonnes raisons de l'espérer. 

Se limiter à 20 chansons dans toute cette œuvre, c'est inévitablement engager l'escalade dans la course à la recherche des titres manquants. Je ne m'y risquerai guère : pas envie, pas le moral, je réécoute tout en boucle depuis une semaine et je ne vais pas éliminer des titres... Toutefois, la déconnexion des chansons à l'ambiance générale d'un album sonne comme une évidence ce que les amoureux de Jean Louis savaient déjà. D'ailleurs quel sens cela aurait-il eu de mettre le voleur de rhubarbe ou se mettre aux anges  isolées du reste de Lilith? Et pourtant ne sont-ce pas des titres magnifiques? 

Se dire qu'il n'y a pas un seul titre du superbe Cours ordinaire des choses ou un seul de Babel... c'est risible. Alors rions franchement, de bonne humeur. 

De toutes façons on n'attendait rien d'un best of. On l'achète par fidélité. 

Mais alors? A quoi sert-il ce disque?  Et bien, des 20 titres de cette compilation, finalement, on n'en jettera pas beaucoup, et en plus de cela,  on percevra la cohérence d'une œuvre pourtant disparate et polymorphe, témoignage d'un artiste majeur. Disque d'initiation, pourquoi pas? En fait, chaque titre donne envie de réécouter le disque entier duquel il est issu. Le début d'un succès commercial. Il aurait détesté cela. Tout est bien... Pas sûr. 

Pierrot nous a raconté le récit de ses funérailles auxquelles nous n'avons pu aller. Ce qu'il narre, le texte de Bayon, tout cela confirme bien que Jean Louis Murat est vivant en ceux qui l'aiment et en ceux qu'il a pu toucher. Mais la vision de ce cercueil fait défaillir, néanmoins. Pleurons maintenant. 

jeudi 25 mai 2023

Deuil


J'ai compilé tous les articles en un seul....

25 mai 2023 - Deuil  

Jean Louis Murat est mort. La nouvelle terrible est tombée ce matin et depuis nous sommes hagards. Il est mort  en étant vivant alors que d'autres vivent en étant morts. 

Vivant artiste, vive œuvre, en constante évolution, en permanente exigence et c'est pourquoi ça fait  encore plus mal. Le poète rongeait son os, comme l'artisan remet cent fois, mille fois, le travail sur le métier... Métier de mulot.

Il lui restait tant à écrire et à chanter... Il est difficile d'écrire bien en étant hagard. Mais c'est une certitude que Jean Louis n'avait pas tout dit...  

Je lis et relis les réactions, les articles et je m'aperçois que je ne suis pas seul, ce que je savais grâce à Pierrot. Mais tout de même notre tristesse commune ne me réconforte guère. 

Souvenirs de concerts, tous toujours différents. Radicaux. Radicalement différents : que c'est bon. 

Souvenirs de quelques propos échangés,  simples et posés, qui tranchent tant avec l'image du furibard des plateaux qu'il s'était forgé.

Je me nois dans les mélodies et les mots (avec un peu de whisky tout de même) : j'ai un ressenti "Montboudif"... Les larmes aux yeux, la gorge nouée, je m'interroge : Demain paraitra son Best Of, lui qui s'y était toujours opposé, et avait finalement accepté... On peut ne pas croire au hasard et faire semblant de penser avoir tort, ou inversement. Coïncidence ou non, il part sur une énigme, quand tant d'autres vivent avec leurs évidences. 

Nous remettrons nos pas dans les siens. "Je marchais dans la montagne en ce joli mois de mai..."

2020 : Baby Love. 

Titre ambigu. Amour qui s'en va (surtout), amour qui vient (peut-être). Murat sort un disque. Évènement. Annuel. Quand même... 

Écoute la musique de ça : "Aux sources de la Loue/ je ne sais quoi j'attendais / Sans doute le début du monde/ Troubadour rêvassait/ je ne sais quelle mélodie / So long" (Si je m'attendais) 

Merde, le mec est un tueur. Première écoute... sceptique. Et puis la musique explose: des guitares partout mais dans les recoins de la rythmique. Stax! Shit!Même quand l'évidence mélodique n'est pas là, l'évidence musicale y est.

Et surtout la qualité de l'intention. En gros, l'histoire est celle d'un mec qui se sauve du désamour par la chanson ce "métier de mulot". Écouter, donc "Montboudif", "ça c'est fait", "si je m'attendais", "La princesse of the cool", "réparer la maison"... ça aurait pu s'appeler Alcools... Je crois. On sent aussi que "Travaux..." a été un travail fondateur. Là des sons, des machines et des idées ressurgissent de cet album de non-chansons qui a tant dérouté : il était porteur de trucs je l'ai déjà écrit. Et c'est bien. Voilà. Ça c'est fait. 


16 octobre 2019, centre culturel Georges Pompidou, Vincennes... 

Début de la nouvelle tournée de Jean Louis Murat, qui fait suite à celle de l'an passé, celle d'Il Francese, qui a donné lieu à enregistrement "Live" (Innamorato)... Je n'ai pas mon diplôme en muratologie et je ne compile pas les set-lists quotidiennes comme autant d'éléments de preuve à charge ou à décharge. Je suis simple spectateur passionné. 

On passe d'abord devant l'éternelle Jocelyne que l'on va saluer. La salle est comble et semble moins glauque que l'entrée déprimante du bâtiment ne le fait préjuger. Chacun y va de son pronostic sur l'humeur de Jean Louis Murat : va-t-il encore bougonner et râler? L'audience sera-t-elle réceptive? 

Ma question à moi, c'est : quelle nouveauté sera l'objet du concert? J'avais été frappé au "café de la danse" en décembre 2018 par la justesse musicale de la formation. Le son était porté par la batterie de Stéphane Reynaud, fine et puissante et la basse agile de Fred Jimenez. Murat était essentiellement à la Télécaster et c'était très bon. 

Ce mercredi soir 16 octobre on retrouve cette formation. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle sied à merveille à Jean Louis Murat. Ces trois-là jouent ensemble depuis très longtemps, cela se sent et c'est très soudés qu'ils déploient leur musique. C'est un GROUPE et c'est cela qui m'impressionne ce soir. Pour varier ses plaisirs et parce que c'est son bon plaisir que de changer quelque chose, Murat a troqué l'électrique Fender pour une guitare électro acoustique 12 cordes. 

Dès le premier morceau, "Kids", on se sent pris par une vraie magie, l'art de transformer et de réorchestrer pour trio des chansons enregistrées dans un environnement bien plus complexe. C'est l'art de Murat de savoir désosser les chansons d'en retenir la substantifique moelle et d'en proposer d'éternels recommencements. On est vite rassuré sur l'ambiance : il est de bonne humeur et le public est prêt à s'embarquer et y trouve du plaisir. 

Les trois compères se trouvent facilement : si JLM est leader, c'est sa musique, ce sont ses chansons, il est clair que les deux lascars qui l'accompagnent sont partie prenante du projet : Les lignes de basse sont puissantes et musicales, la batterie est imparable, nette d'une précision diabolique. Nous aurons droit à l'harmonica sur quelques merveilles : l'envoûtant "Je me souviens", le superbe "voyageurs perdus" (Tristan, 2008, dont il joue aussi "Tel est pris" façon rock). Entre-temps "Hold-up" est passé par là, "Cinévox" aussi (seule fausse note dans l'arrangement raté, à mon avis) et ainsi que "Gazoline". Des extraits de Morituri bienvenus : "Tarn et Garonne", "French Lynx" très réussis. "Over and over", et "Agnus dei Babe" de Toboggan. 

Un final très décontracté avec des inédits pour s'amuser, les morceaux qui vont rythmer la vie de la tournée, rompre la monotonie des soirs recommencés : avec JLM pas trop de risques, il déteste ça, semble-t-il refaire le truc.... On ressort de là ravis, après des applaudissements chaleureux, et trois musiciens semble-t-il heureux aussi de la tournure des événements. 

Et je me repose la question : qu'est-ce qui le tient, si haut, si exigeant? Chut,tais-toi, écoute. Au fait un nouvel album est annoncé pour février! 

2018 : Il Francese..

Le Français qui voulût être roi d'Italie. Non ... roi de Naples et de Sicile, nuance! Murat. Jean Louis Joachim Murat, homme du siècle, homme des siècles, passés et présent. L'album est donc sorti depuis 8 jours. 8 jours d'écoutes quotidiennes, pour comprendre, chercher, se laisser bercer de sonorités, de mélodies, d'ambiances... Grand disque d'aujourd'hui, d'hier et de demain. Classique et moderne. Identités multiples, cheminements sinueux : les méandres des fleuves et des rivières, les lacets du sentier de montagne sont aussi ceux de la versification, de la mélodie et des arrangements. Rien de rectiligne. Mélange des langues, des styles, des écritures : "Hold-up, trafiquant de cerises, hold-up, experte en rutabagas". Cheminements trans séculaires et transfrontaliers, ceci n'est pas qu'un album de chanson française, terme refusé par l'auteur... Même si le français est la langue principale et son écriture parfaitement maîtrisée : "Sous un ciel de traîne, un amour s'en va..." : des phrases qui tombent si bien... Ou encore : "Good bye / En souvenir de vous / je guette du Ventoux / le moindre feu de paille / Kids i've got a message for you." Les personnages, de JLM à ceux qui l'inspirent, se mêlent en une identité multiple, pas d'image nette : regarde la pochette! Musicalement, synthèse de ce qui fait Murat depuis longtemps : machines, mélodies, piano, rythmes électro, (tr)hip hop, blues... Refus de s'enfermer. 

Il y a du Gainsbourg (pas du Gainsbarre) dans cet album-là, servi par une culture aux aguets, qui ne sent ni la naphtaline bon teint, ni la putasserie "air du temps" bon marché. Vrai disque cohérent, mais non monocorde, à tous points de vue. Quelques lignes de basse parfaites (Hold-Up); quelques intros piano parfaites itou, mâtinées de sons synthétiques et de phrases qui tombent à pic, (superbe Silvana; envoûtante Treizième porte); quelques images fortement évocatrices (Cinévox); quelques imparables mélodies d'un classicisme élégantissime et brillant (rendre l'âme , Je me souviens). Il Francese puise loin au fond des racines de l'écriture de notre langue. La Renaissance, Rimbaud, le monde contemporain sont convoqués pour créer la poésie d'aujourd'hui. 

Murat, écrivain de -ou en- chanson. Mais l'arbre n'est pas que racines. Français de culture, clairement à l'écoute du monde autour, notes orientalistes parsemées de-ci de-là, sons et choeurs anglo-saxons revendiqués, Il Francese ne s'enferme pas dans une identité terroir, marque de fabrique trop facilement étiquetée sur son dos. L'oeil et les oreilles sont aux aguets de ce qui se crée de par le monde, du vent qui souffle. 

Cela depuis toujours et je réécoute la pharmacienne à Yvetôt (Morituri) du coup...

D'Achtung à Je me souviens le voyage est parsemé de paysages grandioses et de cailloux, d'horizons lointains et de douleurs articulaires, de pensées embrumées et de désirs fugaces. Une montagne à gravir pour se recentrer : se chercher dans d'autres vies pour parvenir à exister. Et in fine ne serait-ce pas une recherche de géographie poétique de soi que d'écouter Murat? "Je voudrais me perdre de vue ... dans une absence congénitale ... dans un simple chant de berger" (Je voudrais me perdre de vue, Grand lièvre). Pour ceux qui sont adeptes le lien ultime sur Murat c'est ici http://www.surjeanlouismurat.com/


Septembre 2018 : Nouvel opus : 

Le nouveau Murat n'est pas sorti mais on en connaît les contours. Attention, avis de chef d'oeuvre? Trois extraits sont disponibles. Hold up le premier est une parfaite réussite à tendance électro pop mitonnée aux petits oignons. Si Ciné vox m'a laissé de marbre, le troisième extrait Je me souviens est une pépite lumineuse, une perle, un joyau, témoin du talent scandaleusement ignoré de la masse de Jean Louis Murat. Chaque mot pesé, l'imparable musique des mots, la parfaite diction, le rythme du phrasé, la voix chaude et étonnamment agile, tout concourt à faire de ce morceau un manifeste au talent. Ne serait ce que pour ce titre sublime, l'achat en double de l'album est obligatoire et sa mélancolie subtile devra faire l'objet d'un traitement particulier par la Sécurité Sociale. Par ces titres, JLM nous rappelle qu'il est non seulement l'auteur français le plus prolifique de son temps, mais surtout le plus audacieux. Audace du classicisme et du modernisme mêlés. Attention, Murat ne bouffe pas à tous les rateliers : il explore les champs de ses sensations et décide de créer, de remettre toujours l'art en chantier. Je me souviens est d'une écriture si fluide, d'une mélodie si évidente, qu'il faudrait que les critiques fainéants délaissent un peu leurs rengaines convenues : "barde auvergnat", "paysan chanteur ermite de la Bourboule", "rock folk boisé à la Neil Young" et j'en passe... Qu'on le dise enfin : il y a plus de poésie chez Murat que chez bien des écrivaillons de la rentrée littéraire! "De la musique avant toute chose" disait Verlaine... Je me souviens est de ces textes dont la musicalité est patente, et dont le sens importe peu, l'intimité du sujet n'ayant non plus aucune importance, même si malgré l'étrange thématique de Murat en Italie choisie, bien des vers sont des authentiques rengaines muratiennes intérieures : "en demi conscience j'allais au fond des ténèbres, sous ta robe blanche la nuit est surnaturelle...". Voilà un rappel simple de ce qu'est JLM : un écrivain de chansons. 

Novembre 2017 En quête.

A l'heure de l'énième écoute de Travaux..., me viennent ces quelques lignes inspirées des souvenirs d'un concert de la tournée "Babel". 

Au sortir de ce concert parisien de novembre, au New Morning, la question semblait évidente : qu’est-ce qui pousse Murat ? La réponse aussi : ça ! Ce que nous venions de vivre, voir, entendre, sentir : un beau concert unique. 

Ce soir-là, dans cette salle dont le mythe n’est plus à redire – mais le choix d’une telle salle n’est pas innocent – ce soir-là donc, hormis quelques méchancetés finalement convenues, sur les statues de commandeurs (Souchon-Voulzy pris comme un seul être, Aznavour, Faithfull, Jagger ou Trenet) Jean Louis Murat, avait donné ce qui le tient : une musique forte, une présence vraie, voire incandescente. 

La voix poussée dans ses retranchements, le groupe, d’abord derrière, poussé devant, puis en fusion avec le chanteur, les improvisations : un concert pour amateur de sensations. 

Me revenait alors l’incroyable performance de l’année d’avant en duo guitare-batterie : c’est une évidence : pour JLM le concert est un instant à vivre et non une machine à cash, une routine de baloche. 

Mais alors pourquoi cette posture à s’en plaindre et à souhaiter la fin du parcours dans ce « métier de merde » ? Qu’est-ce qui pousse Murat ? 

Nous souhaitions comprendre et pour cela replonger dans les chansons. Ne pas s’arrêter aux interviews « peep-show » comme il les avait nommées lors du set, mais revenir à l’œuvre car ce n’est pas trop dire que de parler à l’égard de la somme muratienne, d’une œuvre. 

Oublier le rigolo de mauvaise humeur, le solitaire auvergnat qui monte à Paris pour y faire un show attendu sur des plateaux TV où les animateurs ne manqueront pas de susciter le scandale de tel ou tel propos, de telle ou telle humeur. Car ainsi marche la machine ; Non, ce qui nous tient c’est la question : qu’est-ce qui pousse Murat vers cette exigence scénique, vers cette prolifique discographie, vers ces chansons-fleuves où l’on se noie, ces forêts de sons où l’on se perd, parfois, avec délices, ou plus perversement avec effroi... ? Il nous fallait dans ces chansons, dans cette jungle de mots, trouver qui était le troubadour, de quel bois il était fait... 

Troubadour : C’est le titre d’un album de feu JJ Cale, avec qui Murat possède plus d’une ressemblance. Même solitude affichée, même mépris pour le jeu du spectacle, même amour de la guitare. Mais l’image n’épuise pas le bonhomme… 

Le nouvel album Travaux sur la N89 est l’occasion de revenir sur cette quête tant, à l’évidence, il est lui-même au cœur d’un questionnement sur l’art d’écrire (« de la chose infernale comment faire une chanson ? »). Si "Travaux..." nous perd souvent et nous déroute c'est que, comme pour un Neil Young, par exemple, le chemin de Murat n'est pas rectiligne. Et sa sinuosité est passionnante... A suivre…: 


2017 : Murat, attention aux travaux!

Donc, le nouveau Murat, attendu comme un événement parce que tout de même les derniers étaient de grandes réussites. (On met au défi quiconque d’aligner en si peu de temps des albums de la qualité de la série : Le cours ordinaire des choses – Grand lièvre – Toboggan – Babel – Morituri… ) 

L’ambiance un peu délétère dans laquelle était plongée l’annonce de l’absence de tournée après Morituri amplifie le désir des retrouvailles. Le teaser et les premiers bruits sont excitants : On ne sera pas en terrain connu et Murat est en chantier ! C’est fait, objet acheté… Qu’en est-il des travaux ?

 OVNI de prime abord. Rien d’entendu nulle part… Et pourtant rapidement apparaît l’évidence… On est bien en terre muratienne. Quelques lignes mélodiques imparables disséminées tout au long de l’album entretiennent l’attention et l’espoir d’une chanson au format traditionnel, qui ne viendra pas… : l’intro de « Dis-le le », celle de « Garçon », « Alamo » sont somptueuses et annoncent des tubes potentiels…. Avec « Le chat », « Quel est le problème Moïse ? », « Travaux sur la N 89 » des sons de tous genres nous rappellent que Murat s’est plus souvent que beaucoup d’autres fréquemment remis en question par la recherche de nouveaux territoires. Et que la chanson peut mêler les formes : en l’occurrence pop, blues électro, chansonnette… « Cordes » est un exemple de voyage à l’intérieur des chansons de leurs multiples ambiances. Idem pour « Dis-le le » absolument envoûtante. 

Il y a donc de superbes moments en effet, d’agaçantes et frustrantes ruptures qui conduisent à revenir à ces passages. Métaphore du zapping perpétuel de nos sociétés ? Finalement c’est une forme de boucle qui se construit : et si écouter l’album en mode repeat était la solution ? Dans les paroles certains mots nous rappellent bien l’univers habituel de JLM : « Coltrane », « Travaux sur la N89 » ( et son superbe piano d’intro, si brève l’intro…) ou encore « La vie me va ». 

Qui connaît Murat en concert ne sera pas surpris de voir le chamboulement car enfin, il a toujours cassé les codes et envoyé valser la bienséance de concerts formatés se ressemblant au risque de l’effroi du spectateur-auditeur venu entendre les tubes radios : Muragostang en est le meilleur exemple, mais pas l’unique. La tournée en duo guitare batterie, superbe réussite, témoigne, elle aussi, d’une capacité hors norme à tout bouleverser. 

Paradoxalement, cet album si peu évident à écouter nous invite à la réécoute et agit par strate. Des lignes de basses, des nappes, des moments aériens, d’autres bien plus terriens, nous ramènent à l’évidence du talent mélodique de l’auteur. Et nous invite à dire « Encore ! » PS : Nouvelle écoute : A l’évidence il y a de vraies chansons majeures : « Dis-le le » (je sais, j’insiste), « Coltrane », « Garçon », "Chanson de Sade" s’inscrivent dans la lignée des grandes chansons de JLM sans aucun problème ! 


2011 : homme seul perdu de vue

Je ne suis pas dylanologue, muratien, expert es homme chantant. J'ai passé l'âge d'être fan ce que je n'ai d'ailleurs jamais aimé-assumé d'être. T'as déjà fait la queue pour un autographe bâclé de merde? Autant dire que je ne veux pas être pris pour ce que je ne suis pas à l'heure de parler du dernier opus de JLM Bergheaud - pardon, Jean Louis Murat. D'autres seront plus légitimes pour en discourir et analyser la chose : Bayon a chroniqué le disque hier ou avant hier dans Libé, qui est le seul quotidien à faire place à ce disque en deux pages. Si après ces précautions de délégitimation vous lisez ceci c'est que vous l'aurez voulu.

Je ne suis pas muratien ni fan en mode transi, juste auditeur passionné d'un auteur prolixe que j'estime admirable (digne d'être admiré).

Admirable indépendance, faisant fi des modes courants et temps de l'industrie musicale, sort son disque annuel juste parce qu'il écrit des chansons et les enregistre!

Admirable régularité de qualité d'écriture. Oh, certes, il n'évite pas la répétition, parfois, mais la cohérence est à ce prix, de redire la même chose toujours et encore (toujours le même t'aime disait Gainsbourg.)

Admirable musicalité du timbre et de l'intonation, de phrasé...

Bon voilà j'aime bien mais encore?

L'homme seul perdu, qui se retient mais qui aime à se vomir parfois, qui répand sa médiocrité et son exigence tout à la fois, sa peur et son arrogance en même temps, la nature et la culture, le primitif et le policé des moeurs...

Le versificateur capable d'écrire, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud et Blondin, les chants passés, les champs et les prés, et Bahamontès.

La chanson semble sans fin parfois, revient d'un album à l'autre par une intonation et un phrasé, qui n'est rien moins que la mise en dehors d'un rythme intérieur : écouter la manière de chanter :"En détail d'une journée / Voilà les derniers moments", rythme que l'on entend dans de multiples albums gage de sincérité plus que d'une marque de fabrique.

S'arrêter au bord d'un chemin, en haut d'une colline, regarder au loin et au près; sentir la rosée sous nos fesses mouiller nos jeans délavés. Et pleurer de joie devant tant de beauté et ce qu'on est capable d'en faire. Boire un verre de rouge, un pinot qui prend le goût de la terre d'où il est né, au soir, une table en bois sous nos coudes élimés. Se taire et rire enfin ou pleurer selon ce que le feu de la veillée et le goût du vin nous aurons dicté.

J'aime que quelqu'un puisse dire :

"Je voudrais me perdre de vue ... dans une absence congénitale ... dans un simple chant de berger";

mercredi 24 mai 2023

Si je m'attendais

Une seule chanson et mille émotions. Comment dire que Murat a défini la chanson parfaite (une fois de plus). C'est incroyable. Oh vous... si je m'attendais... Je suis à genoux... (hiboux, choux mais caribou). Chère vous.... C'est magnifique. Bonjour toi!

Baby Love.

Baby Love. Titre ambigu. Amour qui s'en va (surtout), amour qui vient (peut-être). Murat sort un disque. Évènement. Annuel. Quand même... Écoute la musique de ça : "Aux sources de la Loue/ je ne sais quoi j'attendais / Sans doute le début du monde/ Troubadour rêvassait/ je ne sais quelle mélodie / So long" (Si je m'attendais) Merde, le mec est un tueur. Première écoute... sceptique. Et puis la musique explose: des guitares partout mais dans les recoins de la rythmique. Stax! Shit!Même quand l'évidence mélodique n'est pas là, l'évidence musicale y est.Et surtout la qualité de l'intention. En gros l'histoire est celle d'un mec qui se sauve du désamour par la chanson ce "métier de mulot". Écouter, donc "Montboudif", "ça c'est fait", "si je m'attendais", "La princesse of the cool", "réparer la maison"... ça aurait pu s'appeler Alcools... Je crois. On sent aussi que "Travaux..." a été un travail fondateur (lire ici). Là des sons, des machines et des idées ressurgissent de cet album de non-chansons qui a tant dérouté : il était porteur de trucs je l'ai déjà écrit. Et c'est bien. Voilà. Ça c'est fait.

Murat 2019

16 octobre 2019, centre culturel Georges Pompidou, Vincennes... Début de la nouvelle tournée de Jean Louis Murat, qui fait suite à celle de l'an passé, celle d'Il Francese, qui a donné lieu à enregistrement "Live" (Innamorato)... Je n'ai pas mon diplôme en muratologie et je ne compile pas les set-lists quotidiennes comme autant d'éléments de preuve à charge ou à décharge. Je suis simple spectateur passionné. On passe d'abord devant l'éternelle Jocelyne que l'on va saluer. La salle est comble et semble moins glauque que l'entrée déprimante du bâtiment ne le fait préjuger. Chacun y va de son pronostic sur l'humeur de Jean Louis Murat : va-t-il encore bougonner et râler? L'audience sera-t-elle réceptive? Ma question à moi, c'est : quelle nouveauté sera l'objet du concert? J'avais été frappé au "café de la danse" en décembre 2018 par la justesse musicale de la formation. Le son était porté par la batterie de Stéphane Reynaud, fine et puissante et la basse agile de Fred Jimenez. Murat était essentiellement à la Télécaster et c'était très bon. Ce mercredi soir 16 octobre on retrouve cette formation. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle sied à merveille à Jean Louis Murat. Ces trois-là jouent ensemble depuis très longtemps, cela se sent et c'est très soudés qu'ils déploient leur musique. C'est un GROUPE et c'est cela qui m'impressionne ce soir. Pour varier ses plaisirs et parce que c'est son bon plaisir que de changer quelque chose, Murat a troqué l'électrique Fender pour une guitare électro acoustique 12 cordes. Dès le premier morceau, "Kids", on se sent pris par une vraie magie, l'art de transformer et de réorchestrer pour trio des chansons enregistrées dans un environnement bien plus complexe. C'est l'art de Murat de savoir désosser les chansons d'en retenir la substantifique moelle et d'en proposer d'éternels recommencements. On est vite rassuré sur l'ambiance : il est de bonne humeur et le public est prêt à s'embarquer et y trouve du plaisir. Les trois compères se trouvent facilement : si JLM est leader, c'est sa musique, ce sont ses chansons, il est clair que les deux lascars qui l'accompagnent sont partie prenante du projet : Les lignes de basse sont puissantes et musicales, la batterie est imparable, nette d'une précision diabolique. Nous aurons droit à l'harmonica sur quelques merveilles : l'envoûtant "Je me souviens", le superbe "voyageurs perdus" (Tristan, 2008, dont il joue aussi "Tel est pris" façon rock). Entre-temps "Hold-up" est passé par là, "Cinévox" aussi (seule fausse note dans l'arrangement raté, à mon avis) et ainsi que "Gazoline". Des extraits de Morituri bienvenus : "Tarn et Garonne", "French Lynx" très réussis. "Over and over", et "Agnus dei Babe" de Toboggan. Un final très décontracté avec des inédits pour s'amuser, les morceaux qui vont rythmer la vie de la tournée, rompre la monotonie des soirs recommencés : avec JLM pas trop de risques, il déteste ça, semble-t-il refaire le truc.... On ressort de là ravis, après des applaudissements chaleureux, et trois musiciens semble-t-il heureux aussi de la tournure des événements. Et je me repose la question : qu'est-ce qui le tient, si haut, si exigeant? Chut,tais-toi, écoute. Au fait un nouvel album est annoncé pour février! Sur JLM , lire aussi la critique d'Il Francese et celle des singles, celle de Travaux , et des impressions variées ici et ...